D. Les Pirates

Pirates…  Ce simple mot fait trembler tous les marins de Cheiswen et impose silence même aux capitaines les plus aguerris. Haïs et redoutés, ils ne sont pourtant qu’une poignée hantant les côtes du continent, mais les légendes et les rumeurs qui courent sur eux sont si nombreuses qu’elles font trembler tous les peuples.

D’où viennent-ils ? Il n’y a aucune certitude sur le sujet. Ils apparaissent au temps de la seconde guerre des humains, vers 2215. A l’origine corsaires au service du royaume de Janoub en guerre contre son redoutable voisin, ils en seront une arme efficace avant que leur entretien ne devienne trop lourd pour le royaume déclinant. Mais même abandonnés de leurs commanditaires ils ne cesseront de hanter les mers, survivant aux royaumes et harcelant les navires de toutes sortes.

Il leur faudra deux siècles et l’établissement de la nouvelle race que sont à cette époque les vampires pour arriver à leur apogée et obtenir leur plus sinistre réputation, marchands d’esclaves… Les nouveaux venus ont besoin de sang, en quantité et discrètement, ils s’en feront les fournisseurs exclusifs, contre rémunération naturellement. Dès lors ils attaquent sans distinction les navires de marchandises comme ceux de voyageurs, revendant les uns et les autres sur les marchés parallèles.

L’invention de la machine à vapeur en 2522 et son adaptation aux transports maritimes dans les années suivantes mettront en danger leur fructueux commerce. La légèreté de leurs vaisseaux n’est plus un atout face à des bâtiments qui ne dépendent plus du vent et ils doivent s’adapter et trouver des parades pour ne pas perdre les confrontations, d’autant plus que les royaumes aussi ont profité de cette avancée pour lutter contre eux. Un grand nombre d’entre eux disparurent à cette époque, traqués par les divers royaumes et exécutés quand ils étaient pris. Pour survivre les équipages restants durent s’allier et donnèrent un nouveau visage à la piraterie. En lieu et place des rapides embarcations de jadis ils utilisèrent les immenses bâtiments à vapeur de leurs adversaires dans lesquels pouvaient s’abriter deux voire trois équipages conventionnels et inventèrent de nouveaux moyens d’abordage à base de petites embarcations à voiles, nombreuses, rapides et très facilement dissimulables. À peine un siècle plus tard celles-ci furent appuyés par de rapides planeurs puis de petits dirigeables. Ainsi assaillis par la mer et le ciel les cibles n’ont que peu de chances d’échapper à ces virtuoses des mers.

Trois cents ans plus tard éclate la révolte des vampires aux côtés desquels se rangent naturellement les pirates et qui aura les conséquences que l’on sait. En remerciement de leur appui, et de leur loyauté lors des siècles de clandestinité, les dirigeants de la nouvelle puissance leur offrent un port d’attache, l’ancienne cité d’Arhimanie, petit territoire enclavé au bord de la mer et protégé par des récifs fatals aux imprudents, ou aux curieux. Ils y vivent encore aujourd’hui dans la sécurité et la prospérité sous la protection officielle, et le contrôle officieux, des vampires.

Les Pirates forment un monde à part, méfiant, fermé. Homme, femme, humain, vampire, shewens… Ils ne font pas de distinction, chacun a ses propres raisons d’être là qui ne regardent que lui et les étrangers seront toujours accueillis. Pour beaucoup ils sont un refuge, le dernier espoir de liberté ou la promesse d’une vie meilleure. Certains y trouvent leur compte, d’autre pas, pourtant peu repartent vraiment. Pour la plupart ils n’ont nulle part ailleurs où aller. Pour ceux-là les navires ne sont pas la seule option, toute une mini société gravite autour d’eux, une économie entière, étonnamment solide, centrée sur le brigandage et ses produits et où chaque compétence trouve sa place. Et comme toute société celle-ci évolue et se perpétue.

Ce sont là les deux seuls moyens de devenir pirate, naître dans cette société un peu à part où venir y trouver refuge pour diverses raisons, toujours sérieuses.

De fait, si dans la théorie les trois races peuvent être, et sont, représentées, les humais restent très largement majoritaires pour plusieurs raisons évidentes. La première, toute simple, est qu’il s’agit effectivement de la race la plus présente sur le continent, les statistiques font le reste.
La seconde raison tient à la différence de système de justice entre les trois peuples, un shewen comme un vampire doit commettre un acte réellement impardonnable par sa société pour avoir besoin de fuir mais cet acte commis il n’aura aucun moyen de se racheter et de se réintégrer, aucune des deux justices n’étant particulièrement délicate mais par contre parfaitement efficace. Au contraire les humains condamnant à l’enfermement ou aux travaux forcés pour des raisons parfois futiles les tentations sont plus grandes.

Le principal problème des pirates une fois revenus à leur port d’attache est l’écoulement des marchandises. Ils ne sont pas des marchands et bien peu d’entre eux peuvent réellement se promener sans crainte à travers les différentes nations, aussi ont-ils besoin d’intermédiaires. Ces marchands peu scrupuleux sont aussi très peu nombreux, la confiance des pirates est difficile à acquérir et celle des vampires, les principaux clients de ce commerce, l’est plus encore. La plupart viennent de la côte toute proche du royaume vampire, à l’intérieur même du récif, et distribuent ensuite les marchandises à travers toutes les zones habitées mais certains plus téméraires font le voyage depuis les Terres libres pour alimenter les marchés parallèles de Samarkhande et de l’Empire humain.

L’exception notable à cette organisation concerne les esclaves. Depuis que leur statut a été revu par le Conseil d’État leur commerce est très règlementé et une fois acquis par les quelques marchands autorisés ils doivent tous être acheminés vers Fentyl, la capital du royaume, où se trouve la seule place de vente officielle. Les contrevenants à cette règlementation s’exposent à des sanctions pouvant aller jusqu’à l’interdiction de commercer sur les territoires vampires ou à une rencontre personnelle et peu agréable, voire fatale, avec l’un des Conseillers en cas de mauvais traitements sur les prisonniers.